Planifier un désastre
- Kai CHANG
- 20 janv. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 févr. 2021
Par Amy Snelling

Comme toute organisatrice compulsive, pour la voyageuse stressée que je suis, la spontanéité n’est pas vraiment ma tasse de thé lorsqu’il s’agit de planifier des petites escapades hors de la ville. Mais, étonnement, ce côté de moi se retrouve plus souvent que prévu balayer d’un revers de main par la romance et l’excitation suscitées par de telles aventures. Pourtant, je choisis en général le plus souvent de suivre ma petite voix intérieure, cette parfaite conseillère, en passant quelques heures de plus à faire des recherches, plutôt que de m’en vouloir après de ne pas avoir donné le meilleur de moi-même pour visiter, de long en large, ce vaste et riche pays où j’avais élu domicile.
C’est un vendredi soir, après une longue série de jours et de mois marqués par de fausses promesses se transformant en « le week-end prochain », que mon partenaire et moi-même avions fini par réserver le premier Airbnb que nous avions trouvé. Nous nous préparions pour nous rendre à la gare avec l’espoir de pouvoir sauter dans le prochain train pour Nankin, située dans la province voisine du Jiangsu, afin de passer un week-end de relaxation de dernière minute. Se rendre dans la vieille capitale du Sud, située à moins d’une heure de distance via le train à grande vitesse, mais suffisamment éloignée pour pouvoir parler « d’escapade », était une victoire facile, satisfaisant les deux côtés de ma personnalité.
Je n’en étais pas à mon premier coup d’essai. J’avais parfaitement conscience que s’il existait bien deux choses incompatibles, c’était la spontanéité et les gares de train en Chine. Ces dernières, qui s’étalent sur plusieurs étages, dans lesquelles les guichets sont répartis sur plusieurs centaines de mètres de distance, sont loin d’être connues pour leur convivialité et facilité d’accès. Néanmoins, nous étions arrivés munis de nos bagages à la gare à 20h30 avec l’idée que plusieurs trains rapides effectueraient le trajet jusqu’à Nankin, un train étant normalement prévu toutes les heures. Nous étions donc convaincus de pouvoir monter à bord d’un train au plus tard à 21h30. Fausse idée. Les seuls tickets encore disponibles étaient ceux pour le dernier train de nuit : le train lent de minuit. Les perspectives d’un trajet rapide et d’une arrivée à destination avant 22h s’étaient subitement envolées, remplacées par la réalité d’une odyssée longue de 4 heures marquée par l’inconfort d’un siège dur comme de la pierre et d’une arrivée à destination à 4h du matin.
Après avoir finalement refait surface à Nankin, nous avons rampé jusqu’à un taxi où j’ai enfin pu brancher mon téléphone, presque mort, à une alimentation électrique complètement déglinguée. Juste à temps avant que la batterie ne soit totalement déchargée, me permettant ainsi d’envoyer toutes les informations essentielles à propos de notre logement à mon compagnon, sauf apparemment le bon code d’entrée de la porte. Bien entendu, avec notre chance, il a fallu que notre hôte Airbnb nous ait communiqué le mauvais numéro d’appartement. C’est ainsi que nos premières heures se résumèrent à être complètement piégés dehors, devant le mauvais appartement, impuissants, en attendant de voir quelqu’un voler à notre rescousse.
Finalement, enfin prêts pour aborder la partie la plus relaxante de notre petit week-end spontané, nous nous levions avec le besoin de prendre une bonne douche et un café. La bouilloire sur le bouton marche, le téléphone enfin branché, le robinet de la douche ouvert à son maximum jusqu’à en risquer des brûlures… mais là encore, nous n’étions pas au bout de nos surprises. Il n’y avait pas d’électricité. En fait, il n’y avait pas d’électricité dans tout l’immeuble, des coupures de courant devaient être réalisées dans la résidence durant tout le week-end. Lassés et fatigués, et désormais en possession de deux téléphones hors service (pourtant vitaux pour effectuer des paiements et pour nous orienter), nous décidâmes alors de sortir à la recherche de cafés et de prises de courant fonctionnelles.
En fin d’après-midi, la situation avait pris une autre tournure. Nous avions finalement réussi à visiter un peu Nankin, et alors que s’estompaient peu à peu les maux de tête causés par les mésaventures de la veille, nous retournions à l’appartement pour mettre au point notre itinéraire et réserver nos tickets de retour pour Shanghai, prévu pour le lendemain. On nous avait assuré de pouvoir bénéficier de l’électricité jusqu’au lendemain matin à 6h.
Parce qu’il nous restait peu de temps pour faire du tourisme et que nous étions beaucoup moins enclins à repartir à l’aventure, j’ai cette fois décidé de tout planifier avec une précision quasi-militaire : 09:00, levée ; 10:00, dépôt des bagages à la gare et retrait des tickets ; 11:00, taxi jusqu’au mausolée de Sun Yat-Sen ; 15:00, taxi jusqu’à la gare ; 16:00, achat des encas pour le trajet ; 17:00, train pour rentrer.
Les choses s’étaient curieusement bien mieux passées que lors du début de notre voyage, jusqu’aux environs de 12:00, moment à partir duquel notre plan initial parti en fumée. Après une bonne marche jusqu’à l’entrée du mausolée, on nous refusa l’accès car nous n’avions pas réservé. C’est à partir de là que les choses ont commencé à empirer. Peu de temps avant, nous imaginions, sourire aux lèvres, la situation dans laquelle nous serions si nous avions déposé nos bagages dans la mauvaise gare. Et bien c’est ce que nous avions effectivement fait, et nous nous en sommes rendus compte seulement une demi-heure avant le départ de notre train depuis une gare qui se trouvait exactement à 35 minutes de distance. Parfait.
Acceptant notre défaite, nous faisions de nouveau la queue pour acheter des tickets de train à la station où nous nous trouvions. Naturellement, tous vendus. Notre dernière option, sans regarder du côté des dépenses, portait sur l’achat de sièges en classe affaire dans un train au départ d’une autre gare qui devait partir quatre heures plus tard.
Allongée dans l’un de ces luxueux fauteuils inclinables pendant le trajet du retour, je ne pouvais m’empêcher de penser à deux choses : un, j’aurais préféré que ce soit un train lent parce que le siège en feutre dans lequel j’étais assise était bien plus confortable que mon propre lit. Deux, mon côté spontané avait raison.
Du peu que j’avais pu voir de Nankin, c’était une très belle ville. Je devrais vraiment m’échapper plus souvent de ma bulle de Shanghai et explorer la Chine. Et pour cela… il semblerait que planifier à l’avance semble payer davantage. ★
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